Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/500

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ce joujou, et quand ma mère m’avait raconté pour la dixième fois le charmant conte de Gracieuse et Percinet, je me mettais à composer en imagination des paysages ou des jardins magiques dont je croyais saisir la répétition dans un lac. Où les enfans trouvent-ils la vision des choses qu’ils n’ont jamais vues ?

Lorsque nos paquets pour le voyage en Espagne furent terminés, j’avais une poupée chérie qu’on m’eût sans doute laissée emporter ; mais ce ne fut point mon idée. Il me sembla qu’elle se casserait ou qu’on la prendrait si je ne la laissais dans ma chambre, et après l’avoir deshabillée et lui avoir fait une toilette de nuit fort recherchée, je la couchai dans mon petit lit et j’arrangeai les couvertures avec beaucoup de soin. Au moment de partir, je courus lui donner un dernier regard, et comme Pierret me promettait de venir lui faire manger la soupe tous les matins, je commençai à tomber dans l’état de doute où sont les enfans sur la réalité de ces sortes d’êtres. État vraiment singulier où la raison naissante d’une part, et le besoin d’illusion de l’autre, se combattent dans leur cœur, avide d’amour maternel. Je pris les deux mains de ma poupée et je les lui joignis sur la poitrine. Pierret m’observa que c’était l’attitude d’une morte. Alors je lui élevai les mains jointes au-dessus de la tête, dans une attitude de désespoir ou d’invocation, à laquelle j’attribuais très sérieusement