Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/502

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Ainsi quand il y avait un beau nuage, un grand effet de soleil, une eau claire et courante, elle me faisait arrêter en me disant : « Voilà, qui est joli, regarde. » Et tout aussitôt ces objets que je n’eusse peut-être pas remarqués de moi-même me révélaient leur beauté, comme si ma mère avait eu une clé magique pour ouvrir mon esprit au sentiment inculte, mais profond qu’elle en avait elle-même. Je me souviens que notre compagne de voyage ne comprenait rien aux naïves admirations que ma mère me faisait partager, et qu’elle disait souvent : « Oh ! mon Dieu, madame Dupin, que vous êtes drôle avec votre petite fille ! » Et pourtant je ne me rappelle pas que ma mère m’ait jamais fait une phrase ? je crois qu’elle en eût été bien empêchée, car c’est à peine si elle savait écrire à cette époque, et elle ne se piquait point d’une vaine et inutile orthographe ; et pourtant elle parlait purement, comme les oiseaux chantent sans avoir appris à chanter. Elle avait la voix douce et la prononciation distinguée : ses moindres paroles me charmaient et me persuadaient.

Comme ma mère était véritablement infirme sous le rapport de la mémoire, et n’avait jamais pu enchaîner deux faits dans son esprit, elle s’efforçait de combattre en moi cette infirmité, qui, à bien des égards, a été héréditaire ; aussi, me disait-elle à chaque instant : « Il faudra te souvenir de ce que tu vois là, » et chaque fois