Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/581

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son cœur pour ne pas se haïr un peu. Après sa mort la douleur les rapprocha, et l’effort qu’elles avaient fait pour s’aimer porta ses fruits. Ma grand’mère ne pouvait comprendre les vives passions et les violens instincts ; mais elle était sensible aux grâces, à l’intelligence et aux élans sincères du cœur. Ma mère avait tout cela, et ma grand’mère l’observait souvent avec une sorte de curiosité, se demandant pourquoi mon père l’avait tant aimée. Elle découvrit bientôt à Nohant ce qu’il y avait de puissance et d’attrait dans cette nature inculte. Ma mère était une grande artiste manquée, faute de développement. Je ne sais à quoi elle eût été propre spécialement, mais elle avait pour tous les arts et pour tous les métiers une aptitude merveilleuse. Elle ne savait rien, elle n’avait rien appris. Ma grand’mère lui reprocha son orthographe barbare et lui dit qu’il ne tiendrait qu’à elle de la corriger. Elle se mit non à apprendre la grammaire, il n’était plus temps, mais à lire avec attention, et, peu après, elle écrivait presque correctement et dans un style si naïf et si joli, que ma grand’mère, qui s’y connaissait, admirait ses lettres. Elle ne connaissait pas seulement les notes, mais elle avait une voix ravissante, d’une légèreté et d’une fraîcheur incomparables, et ma grand’mère se plaisait à l’entendre chanter, toute grande musicienne qu’elle était. Elle remarquait le goût et la méthode naturelle de son chant.