Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/617

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des perspectives très larges. Son imagination est restée fraîche sous les glaces de l’âge, et, dans les détails, elle est véritablement artiste et poète.

Il existe d’elle un roman publié sous la Restauration, un des derniers, je crois, qu’elle ait écrit, et dont je n’ai jamais entendu parler depuis cette époque. J’avais quinze ou seize ans quand je le lus, et je ne saurais dire s’il eut du succès. Je ne me le rappelle pas bien, mais il m’a vivement impressionnée, et il a produit son effet sur toute ma vie. Ce roman est intitulé les Battuécas, et il est éminemment socialiste. Les Battuécas sont une petite tribu qui a existé, en réalité ou en imagination, dans une vallée espagnole cernée de montagnes inaccessibles. À la suite de je ne sais quel événement, cette tribu s’est renfermée volontairement en un lieu où la nature lui offre toutes les ressources imaginables, et où, depuis plusieurs siècles, elle se perpétue sans avoir aucun contact avec la civilisation extérieure. C’est une petite république champêtre, gouvernée par des lois d’un idéal naïf. On y est forcément vertueux ; c’est l’âge d’or avec tout son bonheur et toute sa poésie. Un jeune homme, dont je ne sais plus le nom et qui vivait là dans toute la candeur des mœurs primitives, découvre un jour, par hasard, le sentier perdu qui mène au monde moderne. Il se hasarde, il quitte sa douce retraite, le voilà lancé dans notre civilisation,