Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/621

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mon imagination. Ma mère procédait autrement. Elle ne m’affirmait rien, elle ne niait rien non plus. La raison venait bien assez vite à son gré, et déjà je pensais bien par moi-même que mes chimères ne se réaliseraient pas ; mais si la porte de l’espérance n’était plus toute grande ouverte comme dans les premiers jours, elle n’était pas encore fermée à clef.

Il m’était permis de fureter autour et de tâcher d’y trouver une petite fente pour regarder au travers. Enfin je pouvais encore rêver toute éveillée, et je ne m’en faisais pas faute.

Je me souviens que dans les soirs d’hiver, ma mère nous lisait tantôt du Berquin, tantôt les veillées du château de Mme de Genlis, et tantôt d’autres fragmens de livres à notre portée, mais dont je ne me souviens plus. J’écoutais d’abord attentivement. J’étais assise aux pieds de ma mère devant le feu, et il y avait entre le feu et moi, un vieux écran à pieds, garni de taffetas vert. Je voyais un peu le feu à travers ce taffetas usé, et il y produisait de petites étoiles dont j’augmentais le rayonnement en clignotant. Alors peu à peu je perdais le sens des phrases que lisait ma mère. Sa voix me jetait dans une sorte d’assoupissement moral, où il m’était impossible de suivre une idée. Des images se dessinaient devant moi et venaient se fixer sur l’écran vert. C’étaient des bois, des rivières, des villes d’une architecture bizarre et gigantesque