Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/185

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gai ni bruyant. Il aimait à causer avec moi, et quand j’étais triste il gardait le silence et marchait derrière moi comme un confident de tragédie. Le railleur Hippolyte, qui regrettait bien aussi ma mère, mais qui n’était pas capable d’engendrer une longue mélancolie, l’appelait mon fidèle Achate.

Je ne lui confiais pourtant rien du tout : je sentais la gravité du secret que ma mère m’avait confié dans un moment d’entraînement, et je ne voulais pas encore me persuader que ce secret n’était qu’un leurre.

Pourtant les jours succédèrent aux jours, les semaines aux semaines, et ma mère ne m’envoya aucun avis particulier ; elle ne me fit pas entendre, par le moindre mot à double sens dans ses lettres, qu’elle songeât à notre projet. Ma grand’mère s’installa à Nohant pour tout l’hiver. Je dus me résigner, mais ce ne fut pas sans de grands déchiremens intérieurs. J’avais, pour me consoler de temps en temps, une fantaisie en rapport avec ma préoccupation dominante. C’était de me figurer que, quand je souffrirais trop, je pourrais exécuter la tendre menace que j’avais faite à ma mère de quitter Nohant seule et à pied pour aller la trouver à Paris. Il y avait des momens où ce projet me paraissait très réalisable, et je me promettais d’en faire part à Liset, le jour où j’aurais définitivement résolu de me mettre en route. Je comptais qu’il m’accompagnerait.