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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/189

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renonçai solennellement (toujours en présence de moi seule) à effectuer ma fuite. Pour n’y plus penser, comme ce maudit trésor me donnait des tentations ou des regrets, je le retirai de la chambre où sa vue et l’espèce de mystère de son existence m’impressionnaient doublement. Je le donnai à serrer à ma bonne, après avoir envoyé à Ursule tout ce qu’elle pouvait accepter sans être accusée d’indiscrétion par ses parens, très sévères et très délicats sous ce rapport.

Je ne pouvais pas me dissimuler que la maladie de ma bonne-maman et les accidens qui se renouvelaient avaient porté atteinte à sa force d’esprit et à la sérénité de son caractère. Chez elle, l’esprit proprement dit, comme on l’entend dans le monde, c’est-à-dire l’art de causer et d’écrire, n’avait pas souffert ; mais le jugement et la saine appréciation des personnes et des choses avaient été ébranlés. Elle avait tenu jusqu’alors ses domestiques et même ses amis à une certaine distance du sanctuaire de sa pensée. Elle avait résisté à ses premières impressions et aux influences du préjugé. Il n’en était plus absolument de même, bien que l’apparence y fût toujours. Les domestiques avaient trop voix délibérative dans les conseils de la famille.

La santé morale était affaiblie avec la santé physique, et pourtant elle n’avait que soixante-six ans, âge qui n’est pas fatalement marqué pour les infirmités du corps et de l’âme