Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/218

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se lèvera sur tous les points ; et d’ailleurs, si nous sommes abandonnés, mieux vaut mourir avec gloire en se défendant que d’aller tendre la gorge aux ennemis. Nous sommes encore un bon nombre à qui il ne faudrait qu’un mot pour relever l’étendard de la nation, et c’est peut-être à moi de donner l’exemple ! »

Deschartres ne disait plus rien. Ma grand’mère prit le bras du général, lui ôta le couteau des mains, le força à se rasseoir, et cela d’une façon si tendre et si maternelle qu’il en fut ému. Il prit les deux mains de la vieille dame, les couvrit de baisers et lui demandant pardon de l’avoir effrayée, la douleur reprit le dessus sur la colère, et il fondit en larmes, les premières peut-être qui eussent soulagé son cœur ulcéré depuis Waterloo.

Nous pleurions tous, sauf Deschartres, qui, cependant, n’insistait plus pour avoir raison et à qui un certain respect devant le malheur fermait enfin la bouche. Ma grand’mère emmena le général au salon. « Mon cher général, au nom du ciel, lui dit-elle, soulagez-vous, pleurez, mais ne dites jamais devant personne des choses comme il vient de vous en échapper. Je suis sûre autant qu’on peut l’être de ma famille, de mes hôtes et de mes domestiques ; mais, voyez-vous, dans le temps où nous sommes et lorsqu’une partie de vos compagnons est forcée de fuir pour échapper peut-être à une sentence de mort, c’est jouer