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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/259

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À la lisière du champ où nous vîmes Plaisir pendant toute une saison, le fossé était couvert d’une belle végétation. Sous les branches pendantes des vieux ormes et l’entrecroisement des ronces, nous autres enfans, nous pouvions marcher à couvert, et il y avait des creux secs et sablonneux avec des revers de mousse et d’herbes desséchées, où nous pouvions nous tenir à l’abri du froid ou de la pluie. Ces retraites me plaisaient singulièrement, surtout quand j’y étais seule, et que les rouge-gorges et les roitelets, enhardis par mon immobilité, venaient curieusement tout auprès de moi pour me regarder. J’aimais à me glisser inaperçue sous les berceaux naturels de la haie, et il me semblait entrer dans le royaume des esprits de la terre. J’eus là beaucoup d’inspirations pour mon roman. Corambé vint m’y trouver sous la figure d’un gardeur de pourceaux, comme Apollon chez Admète. Il était pauvre et poudreux comme Plaisir ; seulement sa figure était autre et laissait quelquefois jaillir un rayon où je reconnaissais le dieu exilé, condamné à d’obscurs et mélancoliques labeurs. Le cadi était un méchant génie attaché à ses pas, et dompté, malgré sa malice, par l’irrésistible influence de l’esprit de patience et de bonté. Les petits oiseaux du buisson étaient des sylphes qui venaient le plaindre et le consoler dans leur joli langage, et il souriait encore sous ses haillons, le pauvre pénitent