Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/282

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causions fort tranquillement. Je l’interrogeais sur ses études. Il avait l’esprit parfaitement libre et dispos ; il s’arrêta auprès d’un buisson pour mettre un brin d’osier à son sabot qui s’était cassé. « Allez toujours, me dit-il, je vous rattraperai bien. » Je continuai donc à marcher ; mais je n’avais pas fait trente pas que je le vois accourir, pâle, les cheveux comme hérissés sur le front. Il avait laissé sabots, panier et pigeons là où il s’était arrêté. Il avait vu, au moment où il était descendu dans le fossé, un homme affreux qui l’avait menacé de son bâton.

Je le crus d’abord, et je me retournai pour voir si cet homme nous suivait ou s’il s’en allait avec nos pigeons ; mais je vis distinctement le panier et les sabots de mon compagnon, et pas un être humain sur le sentier ni dans le champ, ni auprès, ni au loin.

J’avais à cette époque dix-sept ou dix-huit ans, et je n’étais plus du tout peureuse. « C’est, dis-je à l’enfant, un pauvre vagabond qui meurt de faim et qui a été tenté par nos pigeons. Il se sera caché dans le fossé. Allons voir ce que c’est. — Non répondit-il, quand on me couperait par morceaux. — Comment ! repris-je, un grand et fort garçon comme te voilà a peur d’un homme tout seul ? Allons, coupe un bâton, et viens avec moi rechercher nos pigeons. Je ne prétends pas les laisser là. — Non, non, demoiselle, je n’irai pas, s’écria-t-il, car je le