Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/31

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qu’elle mangeait comme un ogre. Quant à moi, ces longs dîners servis, discutés, analysés et savourés avec tant de solennité m’ennuyaient mortellement. J’ai toujours mangé vite, et en pensant à autre chose. Une longue séance à table m’a toujours rendue malade, et j’obtenais la permission de me lever de temps en temps, pour aller jouer avec un vieux caniche qui s’appelait Babet, et qui passait sa vie à faire des petits et à les allaiter dans un coin de la salle à manger.

La soirée me paraissait bien longue aussi. Il fallait que ma mère prît des cartes et fît la partie des grands-parens, ce qui ne l’amusait pas non plus, mon oncle étant beau joueur et ne se fâchant pas comme Deschartres, et la mère la Marlière gagnant toujours parce qu’elle trichait. Elle convenait elle-même que le jeu sans tricherie l’ennuyait. C’est pourquoi elle ne voulait pas jouer d’argent[1].

  1. J’ai fait depuis une remarque qui m’a paru triste. C’est que la plupart des femmes trichent au jeu et sont malhonnêtes en affaires d’intérêt. Je l’ai constaté chez des femmes riches, pieuses et considérées. Il faut le dire, puisque cela est, et que signaler un mal c’est le combattre. Cet instinct de duplicité qu’on peut observer, même chez les jeunes filles qui jouent sans que la partie soit intéressée, tient-il à un besoin inné de tromper, ou à l’âpreté d’une volonté nerveuse qui veut se soustraire à la loi du hasard ? Cela ne vient-il pas plutôt de ce que leur éducation morale est incomplète. Il y a deux sortes d’hon-