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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/311

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plus de rien, je ne songeais pas à me retirer. Enfin, la faim me prit, la vieille était partie depuis longtemps. Je chargeai sur mes épaules un fardeau plus lourd que moi et je le portai à sa chaumière, qui était au bout du hameau. J’étais en nage et en sang, car la serpe m’avait plus d’une fois fendu les mains, et les ronces m’avaient fait une grande balafre au visage.

Mais la soirée d’automne était superbe et les merles chantaient dans les buissons. J’ai toujours aimé particulièrement le chant du merle ; moins éclatant, moins original, moins varié que celui du rossignol, il se rapproche davantage de nos formes musicales, et il a des phrases d’une naïveté rustique qu’on pourrait presque noter et chanter en y mêlant fort peu de nos conventions. Ce soir-là, ce chant me parut la voix même de Corambé qui me soutenait et m’encourageait. Je pliais sous mon fardeau ; je sentis, tant l’imagination gouverne nos facultés, décupler ma force, et même une sorte de fraîchir soudaine passer dans mes membres brisés. J’arrivai à la chaumière de la mère Brin comme les premières étoiles brillaient dans le ciel encore rose. « Ah ! ma pauvre mignonne, me dit-elle, comme vous voilà fatiguée ! vous prendrez du mal ! — Non, lui dis-je, mais j’ai bien travaillé pour vous, et cela vaut un morceau de votre pain, car j’ai grand appétit. » Elle me coupa, dans son pain noir et moisi, un grand morceau que je mangeai,