Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/322

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verrons bien, me disais-je. On veut que je cherche, je ne chercherai pas. »

Il m’a toujours fallu, pour vivre, une résolution arrêtée de vivre pour quelqu’un ou pour quelque chose, pour des personnes ou pour des idées. Ce besoin m’était venu naturellement dès l’enfance, par la force des circonstances, par l’affection contrariée. Il restait en moi quoique mon but fût obscurci et mon élan incertain. On voulait me forcer à me rattacher à l’autre but que l’on m’avait montré, et dont je m étais obstinément détournée. Je me demandai si cela était possible. Je sentis que non. La fortune et l’instruction, les belles manières, le bel esprit, ce qu’on appelait le monde m’apparut sous des formes sensibles, telles que je pouvais les concevoir. « Cela se réduit, pensai-je, à devenir une belle demoiselle bien pimpante, bien guindée, bien érudite, tapant sur un piano devant des personnes qui approuvent sans écouter ou sans comprendre, ne se souciant de personne, aimant à briller, aspirant à un riche mariage, vendant sa liberté et sa personnalité pour une voiture, un écusson, des chiffons et quelques écus. Cela ne me va point et ne m’ira jamais. Si je dois hériter forcément de ce castel, de ces gerbes de blé que compte et recompte Deschartres, de cette bibliothèque où tout ne m’amuse pas, et de cette cave où rien ne me tente, ne voilà-t-il pas un grand bonheur et de belles richesses !