Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/50

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ses danses et ses bonds inimitables ? Fi de cette vieille grâce qui consistait à prendre avec art une prise de tabac et à porter avec prétention un habit brodé, une robe à queue, une épée ou un éventail. Les belles dames espagnoles manient ce dernier jouet avec une grâce indicible, nous dit-on, et c’est un art chez elles. C’est vrai, mais leur nature s’y prête. Les paysannes espagnoles dansent le boléro mieux que nos actrices de l’Opéra, et leur grâce ne leur vient que de leur belle organisation, qui porte son cachet avec elle.

La grâce, comme on l’entendait avant la Révolution, c’est-à-dire la fausse grâce, fit donc le tourment de mes jeunes années. On me reprenait sur tout, et je ne faisais pas un mouvement qui ne fût critiqué. Cela me causait une impatience continuelle, et je disais souvent : Je voudrais être un bœuf ou un âne, on me laisserait marcher à ma guise et brouter comme je l’entendrais : au lieu qu’on veut faire de moi un chien savant, m’apprendre à marcher sur les pieds de derrière et à donner la patte. »

À quelque chose malheur est bon, car c’est peut-être à l’aversion que cette petite persécution de tous les instans m’inspira pour le maniéré, que je dois d’être restée naturelle dans mes idées et dans mes sentimens. Le faux, le guindé, l’affecté me sont antipathiques, et je les devine, même quand l’habilité les a couverts du