Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/717

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quis cette menace de délire. Je m’abstins de m’approcher de l’eau, et le phénomène nerveux, car je ne puis définir autrement la chose, était si prononcé, que je ne touchais pas seulement à la margelle d’un puits sans un tressaillement fort pénible à diriger en sens contraire.

Je m’en croyais pourtant guérie, lorsque, allant voir un malade avec Deschartres, nous nous trouvâmes tous deux à cheval au bord de l’Indre. « Faites attention, me dit-il, ne se doutant pas de ma monomanie, marchez derrière moi : le gué est très dangereux. À deux pas de nous, sur la droite, il y a vingt pieds d’eau.

— J’aimerais mieux ne point y passer, lui répondis-je, saisie tout à coup d’une grande méfiance de moi-même. Allez seul, je ferai un détour et vous rejoindrai par le pont du moulin. »

Deschartres se moqua de moi. « Depuis quand êtes-vous peureuse ? me dit-il ; c’est absurde. Nous avons passé cent fois dans des endroits pires, et vous n’y songiez pas. Allons, allons ! le temps nous presse. Il nous faut être rentrés à cinq heures pour faire dîner votre bonne maman. »

Je me trouvai bien ridicule en effet, et je le suivis. Mais, au beau milieu du gué, le vertige de la mort s’empare de moi, mon cœur bondit, ma vue se trouble, j’entends le oui fatal gronder dans mes oreilles, je pousse brusquement mon cheval à droite, et me voilà dans l’eau