Page:Sand - Isidora, 1845.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

eux que des égoïstes, et je venais chercher ici des malheureux intelligents. Il y en a sans doute ; mais mon indigence ou ma timidité m’ont empêché de les rencontrer. J’ai trouvé mes pareils abrutis ou dépravés par le malheur. L’effroi m’a saisi et je me suis retiré seul pour ne pas voir le mal et pour rêver le bien ; mais chercher seul, c’est affreux, c’est peut-être insensé.

Je croyais acquérir ici tout au moins l’expérience. Je connaîtrai les hommes, me disais-je, et les femmes aussi. Chez nous (en province), il n’y a guère qu’un seul type à observer dans les deux sexes : le type de la prudence, autrement dit de la poltronnerie. Dans la métropole du monde je verrai, je pourrai étudier tous les types. J’oubliais que moi aussi, provincial, je suis un poltron, et je n’ai osé aborder personne.

Je puis cependant me faire une idée de l’homme, en m’examinant, en interrogeant mes instincts, mes facultés mes aspirations. Si je suis classé dans un de ces types qui végètent sans se fondre avec les autres, du moins j’ai en moi des moyens de contact avec ceux de mon espèce. Mais la femme ! où en prendrai-je la notion psychologique ? Qui me révélera cet être mystérieux qui se présente à l’homme comme maître ou comme esclave, toujours en lutte