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jean ziska.

Il me fallait insister sur cette vérité, devenue banale, avant de vous introduire sur l’arène fumante de la Bohême. Si je vous y faisais entrer d’emblée, lectrice délicate, épouvantée de heurter à chaque pas des monceaux de ruines et de cadavres, vous penseriez peut-être que la Bohême était alors une nation plus barbare que les autres ; je dois donc, au préalable, vous prier, Madame, de jeter un coup d’oeil sur notre belle France, et de voir ce qu’elle était à cette époque, c’est-à-dire durant les dernières années de l’infortuné Charles VI. D’un côté les Armagnacs ravageant les campagnes jusqu’aux portes de Paris, pillant et massacrant sans merci leurs compatriotes ; un sire de Vauru pendant au chêne de Meaux une cinquantaine de pièces de gibier humain qu’on y voyait brandiller tous les matins[1] ; un dauphin de France assassinant son parent en trahison sur le pont de Montereau, emprisonnant sa mère, abandonnant son père idiot à tous les maux de sa condition et à tous les dangers de son ineptie : de l’autre, un duc de Bourgogne, assassin de son proche parent, faisant justice de ses ennemis dans Paris, à l’aide du bourreau Capeluche, des bouchers et des écorcheurs ; chaque parti vendant à son tour sa patrie à l’Angleterre ; l’Anglais aux portes de Paris ; dans Paris la famine, la peste, l’anarchie, le découragement, les vengeances inutiles et féroces, les prisonniers mourant de faim dans les cachots ou égorgés par centaines au Châtelet ; la Seine encombrée de sacs de cuir remplis de cadavres ; une reine obèse plongée dans la débauche, chaque membre de la famille royale volant les trésors de la couronne, dévastant les églises, écrasant le peuple d’impôts ; celui-ci faisant fondre la châsse de Saint-Louis pour payer une orgie, celui-là arrachant aux misérables leur dernière obole pour une campagne contre l’ennemi

  1. Voy. Henri Martin.