Page:Sand - Jean Ziska, 1867.djvu/255

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enlève tous les soucis et dissipe tous les nuages. D’ailleurs que ferais-tu de tes nobles pensées et des poétiques élans de ton intelligence au milieu des détails abrutissants et des prévisions égoïstes d’une étroite parcimonie ? Ces pauvres femmes les vantent par amour-propre, et vingt fois le jour elles laissent percer le dégoût et l’ennui dont elles sont abreuvées. Quant à renfermer tes sentiments généreux et à te soumettre aux arrêts de l’intolérance, tu l’entreprendrais en vain. Jamais ton cœur ne pourra se refroidir, jamais tu ne pourras abandonner le culte austère de la vérité ; et malgré toi les éclairs d’une courageuse indignation viendraient briller au milieu des ténèbres que le fanatisme voudrait étendre sur ton âme. Si d’ailleurs toutes ces épreuves ne sont pas au-dessus de tes forces, je sens, moi, qu’elles dépassent les miennes ; je ne pourrais te voir opprimée sans me révolter ouvertement. Tu as bien assez souffert déjà, tu t’es bien assez immolée pour moi.

GABRIELLE.

Je n’ai pas souffert, je n’ai rien immolé ; j’ai eu confiance en toi, voilà tout. Tu sais bien que je n’étais pas assez faible d’esprit pour ne pas accepter les petites souffrances que ces nouvelles habitudes dont tu parles pouvaient me causer dans les premiers jours ; j’avais des répugnances mieux motivées, des craintes plus graves. Tu les as toutes dissipées ; je ne suis pas descendue comme femme au-dessous du rang où, comme homme, ton amitié m’avait placée. Je n’ai pas cessé d’être ton frère et ton ami en devenant ta compagne et ton amante ; ne m’as-tu pas fait des concessions, toi aussi ? n’as-tu pas changé ta vie pour moi ?

ASTOLPHE.

Oh ! loue-moi de mes sacrifices ! J’ai quitté le désordre dont j’étais harassé, et la débauche qui de plus en plus