Page:Sand - Jean Ziska, 1867.djvu/254

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j’en fais honneur à ta nature, et je crois qu’il n’était pas besoin d’une destinée bizarre et d’une existence en dehors de toutes les lois pour que tu fusses le chef-d’œuvre de la création divine. Tu naquis douée de toutes les facultés, de toutes les vertus, de toutes les grâces, et l’on te méconnaît ! l’on te calomnie !…

GABRIELLE.

Que t’importe ? Laisse passer ces orages ; nos têtes sont à l’abri sous l’égide sainte de l’amour. Je m’efforcerai d’ailleurs de les conjurer. Peut-être ai-je eu des torts. J’aurais pu montrer plus de condescendance pour des exigences insignifiantes en elles-mêmes. Nos parties de chasse déplaisent, je puis bien m’en abstenir ; on blâme nos idées sur la tolérance religieuse, nous pouvons garder le silence à propos ; on me trouve trop élégante et trop futile, je puis m’habiller plus simplement et m’assujettir un peu plus aux travaux du ménage.

ASTOLPHE.

Et voilà ce que je ne souffrirai pas. Je serais un misérable si j’oubliais quel sacrifice tu m’as fait en reprenant les habits de ton sexe et en renonçant à cette liberté, à cette vie active, à ces nobles occupations de l’esprit dont tu avais le goût et l’habitude. Renoncer à ton cheval ? hélas ! c’est le seul exercice qui ait préservé la santé des altérations que ce changement d’habitudes commençait à me faire craindre. Restreindre ta toilette ? elle est déjà si modeste ! et un peu de parure relève tant ta beauté ! Jeune homme, tu aimais les riches habits, et tu donnais à nos modes fantasques une grâce et une poésie qu’aucun de nous ne pouvait imiter. L’amour du beau, le sentiment de l’élégance est une des conditions de ta vie, Gabrielle : tu étoufferais sous le pesant vertugadin et sous le collet empesé de dame Barbe. Les travaux du ménage gâteraient tes belles mains, dont le contact sur mon front