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GABRIEL.

Que Dieu vous accompagne ! À demain !

(Le précepteur sort. Gabriel l’accompagne jusqu’à la porte et revient.)




Scène VIII


GABRIEL, seul.

Réfléchir à quoi ? À l’étendue de mon malheur, à l’impossibilité du remède ? À cette heure, Astolphe oublie tout dans une honteuse ivresse ! et moi, pourrais-je jamais oublier que son sein, le sanctuaire où je reposais ma tête, a été profané par d’impures étreintes ? Eh quoi ! désormais chacun de ses soupçons pourra ramener ce besoin de délires abjects et l’autoriser à souiller ses lèvres aux lèvres des prostituées ! Et moi, il veut me souiller aussi ! il veut me traiter comme elles ! il veut m’appeler devant un tribunal, devant une assemblée d’hommes ; et là, devant les juges, devant la foule, faire déchirer mon pourpoint par des sbires, et, pour preuve de ses droits à la fortune et à la puissance, dévoiler à tous les regards ce sein de femme que lui seul a vu palpiter ! Oh ! Astolphe, tu n’y songes pas sans doute ; mais quand l’heure viendra, emporté sur une pente fatale, tu ne voudras pas t’arrêter pour si peu de chose ! Eh bien ! moi, je dis : Jamais ! Je me refuse à ce dernier outrage, et, plutôt que d’en subir l’affront, je déchirerai cette poitrine, je mutilerai ce sein jusqu’à le rendre un objet d’horreur à ceux qui le verront, et nul ne sourira à l’aspect de ma nudité… Ô mon Dieu ! protégez-moi ! préservez-moi ! j’échappe avec peine à la tentation du suicide !…

(Elle se jette à genoux et prie.)