Page:Sand - Jean de la Roche (Calmann-Levy SD).djvu/249

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déposais miss Love sur le sofa de sa chambre, et où j’avais encore la figure penchée vers elle, elle me prit la tête dans ses deux mains et appliqua un gros baiser franc et sonnant sur ma joue, en riant comme une folle.

Je restai pétrifié d’étonnement, et M. Butler tomba dans une espèce d’extase assez plaisante, comme si, à l’aspect d’une dérogation aux lois de la physique, il se fût méfié d’une erreur de ses sens.

— Eh bien, dit Love riant toujours, ça l’étonne beaucoup que je l’embrasse, et vous aussi, cher père ? Mais réfléchissez tous les deux. Que puis-je faire pour remercier ce pauvre homme, qui succombe sous la fatigue de me porter, c’est-à-dire de m’avoir portée là-bas, où il risquait de tomber mort en arrivant ? Quand nous lui aurons donné beaucoup d’argent pour sa femme et ses enfants, serons-nous quittes envers lui ? Eh bien, moi, je pensais à cela tout à l’heure, et je me disais : « Quand on s’oblige ainsi les uns les autres, on redevient réellement ce que le bon Dieu nous a faits, c’est-à-dire frères et sœurs, et je veux traiter Jacques comme mon frère, au moins pendant une seconde. Je lui dirai le mot qui résume toute amitié et toute parenté, et ce mot sans paroles, c’est un baiser. » Comprenez-vous, Jacques ? et me blâmez-vous, mon père ?