Page:Sand - Jean de la Roche (Calmann-Levy SD).djvu/92

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vis-à-vis de moi Je me retraçais son image, sa beauté, sa grâce, sa jeunesse, et jusqu’à sa toilette et au parfum de ses cheveux et de ses rubans, j’étais repris d’une sorte de fièvre qui m’ôtait le sommeil, et qui arrivait à son paroxysme au moment où je partais pour retourner chez elle. J’arrivais ému jusqu’à la passion, et peu à peu, en causant avec elle, je me calmais jusqu’à l’amitié. Il n’en était pas ainsi lorsque je pouvais l’apercevoir et l’observer sans qu’elle fît attention à moi. Alors je la dévorais des yeux, et mon imagination la dévorait de caresses : mais il suffisait de son regard honnête et ferme, arrivant tout droit sur le mien, pour ramener mon âme à un respect voisin de la crainte.

Je n’étais guère capable d’analyser de tels contrastes et de résoudre un tel problème. Si je m’en étonnais souvent, du moins je ne m’en alarmais pas. Chacune des deux faces si distinctes de mon sentiment faisait, d’ailleurs, des progrès rapides. Mes agitations loin d’elle arrivaient à me consumer. Mon apaisement à ses côtés devenait de jour en jour plus profond et plus suave. L’amour et l’amitié grandissaient sans hésitation et sans défaillance, mais, chose bizarre ! sans se confondre jamais dans une perception nette de mon propre cœur.

Notre intimité faisait des progrès analogues. Chaque