Page:Sand - L Homme de neige vol 1.djvu/239

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taire dans toute sa rigueur. On me laissa chercher ma voie et donner libre carrière à l’énorme facilité dont j’étais doué. Fut-ce un tort ? Je ne le crois pas. Il est bien vrai que l’on eût pu me doter d’une spécialité qui m’eût casé pour toujours dans un coin de l’art ou de la science, et que je n’eusse pas connu la misère ; mais de combien de plaisirs intellectuels ne m’eût-on point privé ! Et puis qui sait si les idées positives et mes propres intérêts, bien définis à mes propres yeux, n’eussent pas desséché la religion de mon cœur et de ma conscience ? Vous verrez tout à l’heure que Sofia Goffredi n’eut point lieu de regretter de m’avoir laissé être moi-même.

» Je m’étais persuadé d’abord que j’étais né littérateur. Sofia m’enseignait à faire des vers et de la prose, et, encore enfant, j’inventais des romans et rimais des comédies, que notre entourage admirait naïvement. J’eusse pu devenir très-vain, car j’étais excessivement gâté par tous ceux qui venaient chez nous ; mais ma Sofia me disait souvent que, le jour où l’on est satisfait de soi-même, on ne fait plus un seul progrès, et ce simple avertissement me préserva de la sottise de m’admirer. Je vis, d’ailleurs, bientôt que, pour être littérateur, il fallait savoir beaucoup de choses ou nager dans le vide des phrases. Je lus énormément ; mais il arriva que, tout en m’instrui-