Page:Sand - L Homme de neige vol 1.djvu/246

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— Allons ! allons ! dit celui-ci en les essuyant à la hâte, on ne devrait pas se laisser surprendre par ces émotions-là ; c’est la preuve qu’on les chasse un peu trop de sa pensée, et elles s’en vengent tout d’un coup en reprenant leurs droits.

» L’habile médecin que j’avais amené ne put guérir ma mère, ni même me donner l’espoir qu’elle guérirait. Seulement, il étudia la nature de son délire et m’enseigna le moyen d’empêcher les crises de fureur. Il fallait satisfaire tous ses désirs pour peu qu’ils eussent une apparence de raison, et, quant aux autres, il fallait tâcher de prendre sur elle l’ascendant et même l’autorité qu’un père exerce sur son enfant.

» Je la ramenai à Pérouse avec le corps de notre pauvre ami, que nous fîmes embaumer afin de le porter dans le mausolée que sa femme rêvait pour lui au bord du lac de Trasimène. Ce que je souffris dans mon cœur pour ramener ainsi mon père mort et ma mère folle dans ce pays que nous avions quitté si gaiement, il n’y avait pas trois semaines, est impossible à dire. Au départ, Sofia riait et chantait tout le long du chemin ; au retour, elle riait et chantait encore, mais de quel air lugubre et de quelle voix déchirante ! Il me fallait la conduire, la raisonner, l’amuser et la persuader comme un enfant, cette