Page:Sand - L Homme de neige vol 2.djvu/268

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fumée de ce luminaire rougeâtre, on voyait s’élever une gigantesque figure blanche : c’était une statue de neige, ouvrage informe et colossal que des paysans avaient façonné et dressé dans la journée par ordre du baron, lequel, n’ignorant pas le surnom dont on l’avait gratifié, avait narquoisement promis aux dames la surprise de son portrait sur la cime du tumulus. La grossièreté de l’œuvre était en harmonie avec la sauvagerie du site et la tradition de ces idoles à grosse tête et à court sayon raboteux qui représente Thor, le Jupiter Scandinave, élevant son marteau redoutable au-dessus de son front couronné.

L’aspect de ce colosse blanc, qui semblait flotter dans le vide, était prestigieux, et personne ne regretta d’avoir bravé le froid de la nuit pour jouir d’un spectacle aussi étrange. L’aurore boréale était pâle, et luttait, d’ailleurs, contre l’éclat de la lune ; mais ces alternatives de nuances diverses, ces recrudescences et ces défaillances de lumière qui caractérisent le phénomène, n’en donnaient pas moins au paysage une incertitude de formes et un chatoiement de reflets qu’il faut renoncer à décrire. Christian croyait rêver, et il répétait à chaque instant M. Goefle que cette étrange nature, malgré ses rigueurs, parlait à l’imagination plus que tout ce qu’il avait vu dans ses voyages.