Page:Sand - La Daniella 1.djvu/166

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tière, dans ses transformations successives, se plaisait à conserver les apparences de couleur et de forme de ses premières opérations, on peut très bien se figurer là, au lieu d’un fleuve d’eau qui descend, un fleuve de lave qui monte, et, au lieu d’une voûte de rochers, une voûte de lourdes vapeurs tordues et dispersées par les vents de l’enfer volcanique.

Je fus tellement saisi par l’aspect et le bruit de ce cercle dantesque, qu’à peine eus-je fait asseoir Medora, je l’oubliai complètement. Ma main, crispée par l’émotion qu’elle m’avait causée, tenait pourtant encore la sienne ; mais c’était une sollicitude toute machinale, et je restai pétrifié comme le ciel de la grotte, curieux d’abord de comprendre à ma manière la scène étrange qui m’environnait, et puis ravi, pénétré, transporté dans le rêve d’un monde inconnu, enchaîné comme on l’est quand on n’a pas une parole pour formuler ce que l’on éprouve, et que l’on n’a pas auprès de soi un être vraiment sympathique, avec qui l’on puisse échanger le regard qui dit tout ce que l’on peut se dire.

Je ne sais pas si son examen extatique dura une minute ou un quart d’heure. Lorsque je retrouvai la notion de moi-même, je vis que je tenais toujours la main de Medora, et qu’à force d’être comprimée dans la mienne, cette pauvre belle main, un vrai modèle de forme et de tissu, était devenue bleuâtre. Je fus honteux de ma préoccupation, et, me retournant vers ma victime, je voulus lui demander pardon. Je ne sais ce que je lui dis ni ce qu’elle me répondit. Le bruit du torrent roulant devant nous, ne nous permettait pas d’entendre le son de notre propre voix ; mais je fus frappé de l’expression froide et hautaine de ces grands yeux d’un bleu sombre attachés sur les miens. Je ne pouvais exprimer mon repentir que par une pantomime, et je pliai un genou pour me faire comprendre. Elle sourit et se leva. Sa figure avait