Page:Sand - La Daniella 1.djvu/264

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je restai en proie à une agitation que je sentais déraisonnable, et que je ne pouvais cependant pas vaincre.

— Mon Dieu, mon Dieu, me disais-je, suis-je donc amoureux à ce point-là ? Amoureux de qui ? D’une courtisane de bas étage, peut-être ! Peut-être ont-ils tous raison de se moquer de moi ! Depuis quand donc un garçon de mon âge doit-il rougir de sentir ses sens émus par une fille qui a appartenu à cent autres ? Et pourquoi ne pas avouer ingénument que je la désire quand même ? Je sais bien qu’il faut savoir gouverner la brutalité de pareilles convoitises, et, en homme du monde, remettre au lendemain des plaisirs dont on ne peut pas seulement évoquer la pensée devant des femmes honnêtes. Mais pourquoi diable cette Medora, qui s’est si follement jetée dans mes bras, ose-t-elle me parler de mes sens, puisque c’est m’en parler que de nommer cette Daniella ?

Et, en songeant ainsi, j’avais quitté le palais, je traversais la foule bruyante rassemblée autour des frittorie pavoisées, et j’étais devant Saint-Jean-de-Latran, sans avoir songé à me précautionner d’un moyen de transport pour Frascati, mais résolu à m’y rendre le soir même, dussé-je faire la route à pied.

J’arrivai à la porte Saint-Jean, me souvenant qu’il y avait par là, hors les murs, des cabarets où j’avais vu des chevaux de louage ; mais, quand je parlai de me faire conduire à Frascati à huit heures du soir, un cri de surprise et presque d’ironie indignée s’éleva autour de moi.

— Oui, oui, la malaria et les brigands ! répondis-je en toute hâte, je sais tout cela ! mais il y a aussi de l’argent à gagner. Combien me demandez-vous pour me conduire ?

— Ah ! Excellence, à l’heure qu’il est, vous n’auriez pas un cheval et un homme pour quatre écus romains.

— Mais pour cinq ?