Page:Sand - La Daniella 1.djvu/54

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soient méchants : non, certainement : à jeun, le marin est une bonne pâte d’homme. Mais le rhum, mossiou ! que voulez-vous faire contre cela ? Ils m’auraient tué ! J’ai laissé là ma harpe, et je vais tâcher de faire quelque autre métier. Aussi bien, j’en avais assez, de la musique et de la France. Je suis un Romain, moi, Excellence.

Et, là-dessus, il se redressa de sa hauteur de quatre pieds et demi, taille d’enfant qui ne l’empêche pas de posséder une barbe de sapeur et une chevelure à l’avenant.

— Je suis un Romain, poursuivit-il avec emphase, et j’ai besoin de me retrouver sur les sept collines.

— C’est bien vu, lui dit Brumières, les sept collines doivent avoir besoin de toi ! Mais quel métier y faisais-tu, et à quoi vas-tu consacrer tes précieux jours ?

— Je ne faisais rien ! répondit-il, et je compte ne rien faire, aussitôt que j’aurai amassé quelques sous pour passer l’année.

— Tu n’as donc rien épargné dans ta vie errante ?

— Pas même de quoi payer mon passage sur le Castor ; mais ils me connaissent et ne me parleront pas d’argent avant Civita-Vecchia.

— Mais alors ?…

— Alors, à la garde de Dieu ! répondit-il avec philosophie. Peut-être Vos Excellences me donneront-elles un petit secours…

— Ah ! tu mendies ? s’écria Brumières. Tu es bien Romain, nous n’en pouvons plus douter. Tiens, voilà mon aumône. Fais le tour de l’établissement.

— Rien ne me presse ! peu à peu ! reprit le bohémien en me tendant une main, tandis que, de l’autre, il mettait dans sa poche les cinquante centimes de Brumières.

— Si c’est là le type romain…, dis-je à mon compagnon, quand le harpiste se fut éloigné.