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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/140

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cenza pour préserver le docteur, n’était pas en tapisserie, comme je l’avais cru d’abord ; c’était tout bonnement une ancienne peinture sur toile arrachée de son cadre, une mauvaise imitation de la mauvaise manière de l’Albane, usée, frottée, disparue, mais au centre de laquelle un amorino blême et maniéré avait résisté à la destruction et se découpait encore sur un fond d’arbres noirs et opaques. Il me sembla que ce pauvre Cupidon se réchauffait à la douce atmosphère de notre braise, et que, ravi de revoir la lumière, il essayait de se détacher du fond où l’artiste l’avait si cruellement incrusté, pour venir, comme un papillon de nuit, brûler ses ailes éraillées à la bougie.

Dès la pointe du jour, ma chère maîtresse s’éveilla et voulut partir pour Grotta-Ferrata, où l’on avait porté les corps des deux bandits chez les religieux basiliens. Morts sans confession, en état de péché mortel, ils devaient n’avoir de prières que celles de la piété individuelle, et ne recevoir la sépulture que dans un lieu à part du cimetière consacré.

Ce fut un nouveau déchirement de cœur pour moi que de quitter encore ma Daniella. Il me semble maintenant, dès qu’elle est seulement à deux pas de moi, que je vais la perdre de nouveau, et je m’inquiète comme la mère la plus nerveuse et la plus puérile pour son unique enfant.

Je la reconduisis jusque vers les trois rochers où elle devait reprendre la route. En avançant avec précaution dans ces inextricables taillis ondulés et semés de blocs de lave, comme la forêt de Fontainebleau est semée de grès, nous vîmes combien il y est facile d’échapper à des poursuites. Daniella examinant la localité au jour, se rassura au point de me permettre de faire l’école buissonnière pour retourner à ma poivrière de la Maledetta.

En étudiant les sinuosités du terrain le long des ruis-