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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/141

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seaux, je m’exerçai à savoir me rendre aussi invisible, en cas d’alerte, que si je n’eusse fait autre chose en ma vie que ce métier de chevreuil.

Je fis donc une promenade de deux heures, et plusieurs croquis de ces charmantes retraites, sans m’éloigner notablement de mon refuge et sans apercevoir bêtes ni gens. Après quoi, je refis le chemin que j’avais fait avec Daniella, afin d’aller l’attendre dans le voisinage des trois pierres.

Rassuré par l’impunité de la solitude, j’approchais, sans trop de précautions, de la lisière un peu plus éclaircie du chemin, lorsque j’entendis un galop de chevaux sur le sable. Je me blottis dans les broussailles pour regarder passer les cavaliers, l’ennemi peut-être. Quelle fut ma surprise de reconnaître Otello portant avec une orgueilleuse aisance la dame voilée ! Elle était suivie du groom du prince, chevauchant à distance respectueuse, comme il eût fait dans les allées du bois de Boulogne.

Je me baissai davantage, car il me sembla qu’elle avait tourné la tête avec insistance de mon côté. Elle fit environ vingt pas en me dépassant, et, tout à coup, sautant légèrement à terre, presque sans arrêter son cheval, elle jeta la bride à son jockey, et, relevant adroitement sa jupe d’amazone, elle vint à moi en courant.

Quand elle fut tout près du buisson où je restais immobile, espérant encore que sa fantaisie la pousserait dans un autre sens, elle m’appela, à voix basse en me donnant du Valreg tout court. Étonné de la rencontrer dans cette forêt quand je la croyais en mer, je pensai que quelque événement fâcheux était arrivé à ses compagnons de voyage, et lui faisant signe de ne pas s’arrêter et de ne pas parler, je la conduisis à quelque distance dans les blocs de rochers.

Quand nous fûmes en sûreté : — Ne craignez rien, dit-elle en s’asseyant résolument et en jetant son chapeau