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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/154

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caractère et toutes les sottises de son imagination. Ces poupées que nous habillons pour vous se tiennent devant vous comme des marionnettes dont on ne voit que le dessus ; mais, quand elles quittent leur costume, elles quittent aussi leur rôle, elles ont besoin de redevenir elles-mêmes et de se vanter devant nous des succès qu’elles ont eus et de ceux qu’elles n’ont pas pu avoir.

Daniella, dont le dépit et l’aversion déliaient la langue, ne manqua pas en véritable fille d’Ève qu’elle se sentait redevenir, cette occasion de déprécier les charmes de Medora et de me révéler les artifices, vrais ou supposés, de son teint et de sa taille. Je l’écoutais d’abord en riant de cette malice qui la soulageait ; puis tout cela me rendit triste. Je n’avais jamais voulu parler de Medora avec elle, et elle avait compris ou paru comprendre que, dans le divin concert de notre bonheur, ce souvenir étranger arrivait pour moi comme une fausse note. Elle avait été si belle dans sa confiance, si grande en me disant :

— Si je pouvais douter de toi, c’est que je ne t’aimerais plus !

Et je la voyais maintenant s’acharner à enlaidir et à ridiculiser un fantôme de rivale, sans plus tenir aucun compte de ma parole et de ma loyauté.

Je ne pus m’empêcher de le lui dire, et ce fut encore une blessure pour elle, tant il est vrai qu’un peu de foi et d’idéal qui se détache entraîne une avalanche de troubles et d’amertumes. Elle me fit un crime de ne pas me complaire à lui voir exhaler sa haine, et m’accusa de défendre, dans mon cœur, celle qui lui ôtait son bonheur et son repos.

Je m’assoupis pendant qu’elle continuait à me parler avec une énergie qui dépassait la mienne. Je n’avais pas dormi de la nuit. Trop de joie et trop de douleur m’avaient épuisé. Je succombais à la fatigue et au dégoût d’une querelle qui