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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/185

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faire au moins assister au repas, m’émerveilla un peu. Je ne l’avais jamais vue si adroite et si tenace. Brumières se croyait obligé, pour lui complaire, d’insister aussi, malgré le dépit que lui causait, par moments, ce caprice. Lorsqu’il laissait voir ce dépit, elle le regardait ou lançait un mot vague, de manière à lui faire croire qu’elle se moquait de moi.

Il devenait cependant bien évident pour moi qu’elle voulait me faire asseoir à table à ses côtés ; pendant que Daniella remplirait l’office de garde-malade, et, dans l’opinion de miss, de servante auprès de lady Harriet. Elle s’acharnait à sa vengeance, au milieu de la plus douloureuse situation domestique, avec une présence d’esprit et une liberté de vouloir qui m’indignaient. Je dois dire que j’avais grand’faim, n’ayant rien pris depuis le matin et venant de faire trois fois, en courant, le trajet assez long entre Piccolomini et Mondragone ; mais, pour rien au monde, je n’eusse accepté un morceau de pain à cette table, et j’allai trouver la Mariuccia, qui mangeait un plat de lazagne dans le casino, et qui le partagea joyeusement avec moi.

Je ne sais pas si je vous ai dit que le casino de la villa Piccolomini est célèbre. C’est un petit pavillon qui se relie au palais comme une aile très-basse, et où le savant Baronius écrivit ses Annales ecclésiastiques. C’est aujourd’hui un appartement meublé, en location comme les autres. La Mariuccia y avait dressé un lit pour moi, dans le cas où l’état de la malade me permettrait de me coucher. Elle s’étonna de mon refus de manger avec les maîtres ; mais, quand elle sut mes raisons d’agir, elle me dit en souriant :

— Je vois que vous aimez ma nièce et que vous savez ménager la susceptibilité d’une femme de cœur. Allons, Dieu vous bénira, et j’ai confiance en vous pour l’avenir.

Je la laissai avec son frère le capucin, qui avait flairé de