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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/195

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envers les autres en le devenant envers moi-même. J’ai manqué de volonté pour me faire apprécier, et j’ai cherché quelquefois, dans l’ivresse, des étourdissements qui m’ont fait descendre dans l’inertie, au lieu de me faire remonter dans l’espérance. J’ai manqué de foi, je le reconnais bien, et, si la femme qui m’aimait m’a pris en dégoût et en pitié, c’est ma faute bien plus que la sienne.

— Tenez, dit-il encore, après que nous eûmes longtemps causé sans que la malade se réveillât, si le ciel me la rend, il me semble que je deviendrai digne, rétrospectivement, de l’amour qu’elle a eu pour moi. À nos âges, l’amour serait un sentiment ridicule s’il ne changeait pas de nature. Mais cette amitié qui lui survit, et à laquelle, s’il vous en souvient, je portais un toast mélancolique au pied du temple de la sibylle, c’est un pis-aller meilleur que l’amour même, plus rare et plus précieux mille fois. Voilà ce que j’aurais voulu et ce que je n’ai pas su inspirer à ma femme.

Puis, comme je lui disais qu’il fallait espérer la guérison d’Harriet et armer son cœur et sa raison pour cette belle conquête de l’amitié sainte, non pas veuve, mais fille de l’amour, il se jeta dans mes bras et versa des larmes qui détendirent si peu sa physionomie sans mobilité, qu’elles semblaient couler comme un ruisseau sur une face de pierre.

— Vous me faites du bien plus que vous ne pensez ! me dit-il de cette voix morte et sans inflexion qui contraste avec ses paroles ; toutes les formules d’encouragement et de consolation sont des lieux communs, et je ne sais pas si les vôtres ont plus de sens que celles des autres. Il est possible que non ; il ne me semble pas que vous me disiez des choses nouvelles pour moi, des choses que je ne me sois pas dites à moi-même ; mais je sens que vous me les dites avec une grande conviction et qu’il y a dans votre cœur un vrai désir de me persuader. Vous avez donc, malgré