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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/241

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mières qu’elle était agréable seulement. Si cette beauté mystérieuse, qui me fascine et m’enivre, n’était visible et appréciable que pour moi, combien je serais fier d’avoir reçu d’en haut le don de la comprendre !

Lune de miel, direz-vous peut-être ! Non, non, vie de miel et d’ambroisie pour l’éternité ! Tout ce qui peut m’arriver en ce monde n’est rien que le cours inévitable d’une destinée fugitive. La mort même de l’un de nous ne serait que l’accident du voyage sur cette terre d’épreuves plus ou moins dures, car devant l’effroi dont une semblable pensée me glace, je sens lutter une foi, une certitude triomphantes : c’est que je suis déjà bien heureux d’avoir rencontré dans ce monde-ci l’être que je dois retrouver, aimer et posséder après, et toujours et partout ! Je ne sais si déjà, dans une existence antérieure, j’ai goûté ce bonheur, ou si je l’ai mérité par une suite d’existences pures et tristes. Je ne sais rien du passé, bien que parfois mes joies présentes ressemblent à de vagues et doux souvenirs ; mais l’avenir, l’avenir sans fin, je le porte là dans mon cœur, comme le souffle même de ma vie, et je sens que je ne serai plus jamais seul, parce que je n’aurai jamais d’autre amour sur la terre, et que, par là, j’en éternise la sainte possession.

Nous avons parlé de vous au bord de ce beau petit lac, cratère éteint dont les brisures sont devenues de véritables nids de fleurs sauvages. Daniella vous aime et mêle votre nom à ses prières. Elle a compris ce que je commence à comprendre moi-même : c’est qu’en exigeant ma parole de vous écrire ma vie, autant que possible jour par jour et heure par heure, vous m’avez conduit à une transformation sérieuse de mon individualité. Je ne me sens plus le même qu’au temps où j’existais sans savoir pourquoi ni comment, perdu dans des rêveries vagues, et craignant toujours d’envisager le but de cette existence ; m’ignorant, me négli-