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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/242

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geant, me dédaignant presque moi-même, et me laissant parfois envahir par ce découragement propre à ceux qui ont besoin d’un idéal que la société ne leur montre et ne leur promet pas. Aujourd’hui je me sens exister ; j’ai fouillé et interrogé, malgré moi, mon propre cœur, et je sais qu’il a été, sans peur, sans hésitation et sans sophisme, droit au but qui lui était offert par la Providence : Tutto per l’amore !

Et je m’inquiéterais, à présent, de la fortune que je n’ai pas, de la réputation que je n’aurai peut-être jamais, de la sécurité, des aises, des convenances, de l’opinion, de la mode, de ce que fait et pense et dit le monde à propos du but à poursuivre dans cette vie d’un jour ? Et que m’importe, quant à moi ? De temps en temps mes yeux tombent sur des publications nouvelles où je vois l’expression du désir, du besoin ou du rêve de chacun. Beaucoup d’argent ! Dans les romans mêmes, qui sembleraient être la peinture d’un idéal plus pur que les bulletins financiers des journaux, je vois souvent percer une aspiration impétueuse vers quelque trésor comme celui des grottes de Monte-Cristo. Je ne m’en étonne ni ne m’en scandalise. Je vois bien que, dans une société si incertaine et si troublée, dans une Europe qui frémit de crainte et d’espoir entre des rêves de prospérité fabuleuse et des terreurs de cataclysme social universel, les imaginations vives s’élancent, comme fait celle de Brumières, vers ce programme effrayant : Être riche ou mourir ! Je crois que c’est là un malheur des temps où nous vivons et que nous nous donnons un mal terrible pour nous bâtir un gros navire, là où nous n’aurions besoin que d’une petite nacelle.

Au retour d’une de nos excursions nous avons trouvé Brumières à la porte de Mondragone, tout agité, tout transporté, nous attendant pour nous dire son étonnante aventure.