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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/276

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pauvre diable qui a vécu d’aumônes insultantes et de coups de pied dans les mollets ? Être homme de bien ! c’était mon rêve, comme celui des courtisanes folles est de devenir vieilles bourgeoises dévotes. Quand on vient au monde avec la vocation de la vertu, on fait comme vous ; on souffre, on travaille, et l’on arrive par là au même but que l’enfant prodigue qui rentre tout d’un coup au bercail, moyennant qu’on lui offre du veau et des habits neufs. Seulement, vous avez pris le chemin le plus long pour avoir une bonne renommée, car vous ne la tiendrez bien qu’après vingt ou trente ans de sainteté, et encore vous pourrez la perdre pour une mince peccadille ; car le monde est ainsi fait : plus on lui donne, plus il exige. Tandis que, si un coquin passe tout à coup honnête homme, on lui en sait un gré infini. Ça étonne, ça amuse, et ceux qui s’attribuent le mérite de l’avoir converti en sont si fiers, qu’ils s’en vont le disant à tout le monde. Je suis sûr qu’avant trois mois mon prince me prônera à tous ses amis comme son ouvrage ; et pourtant, la vérité est, monsieur Valreg, que si je dois quelque chose à quelqu’un, c’est à vous, parce que… ma foi, je ne saurais dire pourquoi ! une sympathie, une persuasion, votre amour pour cette Daniella, qui vaut quarante Medora… Mais chut ! avant peu il faudra dire à celle-ci Votre Altesse, et prendre ses ordres chapeau bas, l’épée au côté !

Il babilla ainsi jusque vers neuf heures, et ses manières étaient telles, que, si je ne l’eusse connu dans son abjection récente, j’aurais pu croire qu’il avait toujours vécu parmi des gens honorables.

À force de regarder les personnes du grand monde en leur servant de ruffian et de bouffon, il savait à l’occasion jouer le rôle d’un subalterne décent et bien appris. Sa toilette soignée, sa barbe rasée, sa chevelure insensée, élaguée maintenant et et collée aux tempes, changeaient telle-