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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/56

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que je ne partirai pas sans elle. J’attendrai qu’elle soit guérie.

Cristo ! vous ne voulez pas profiter… ?

— Ah ! pas de discussion ! N’es-tu pas libre, toi, dès a présent ? Va, si tu m’aimes !

Je sais maintenant qu’avec ce mot-là je gouverne mon pauvre diable. Il s’élança dans l’escalier ; mais le docteur qui, sans nous écouter, ne nous perdait pas de vue, revint vers nous, en me disant avec politesse, mais d’un ton sérieux :

— Ne donnez pas encore de commissions dehors, monsieur ; ce serait pour nous et pour vous une grave imprudence. Attendez minuit…

Il fallut se résigner et rappeler Tartaglia, qui alla flairer les casseroles et faire connaissance avec les cuisiniers. Moi, je suivis le docteur et le prince au salon, où l’on m’offrit un fauteuil. Le prince était déjà étendu nonchalamment sur le grand sofa, et il entama la conversation avec aisance en me parlant peinture, en me demandant ce que je pensais de l’influence de l’Italie sur les artistes des autres pays, en me questionnant, enfin, sur mes opinions à l’égard des divers maîtres de la France moderne : tout cela sans faire la moindre allusion à ma situation présente, non plus qu’à la sienne, et en discourant avec esprit et légèreté sur toutes choses, hormis celle qui devait le plus me préoccuper.

Pendant cette causerie étrangement calme et qui semblait beaucoup plus faite pour un salon de Paris que pour le lieu où nous étions, le docteur s’occupait du service, ex professo, et s’ingéniait avec le valet de chambre pour suppléer à ce qui pouvait manquer à l’élégance et au confort de la table. Le groom n’avait qu’une idée, c’était de faire monter le jet d’eau, et, en changeant les becs de roseau, il lui arrivait à tout instant de nous arroser, ce que le prince