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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/90

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Je regardai la magnifique vue que j’avais contemplée au soleil couchant, le théâtre antique où, pour la première fois, j’avais rencontré sous un habit de moine, ce docteur qui m’entraînait maintenant dans les périls de sa vie aventureuse, et les silhouettes, argentées par la lune, qui dentelaient l’horizon. C’étaient les sommets et les vallées que le berger Onofrio m’avait nommés, et, pour ne les avoir examinés qu’une fois, je connaissais déjà si bien le relief géographique du pays environnant, que j’eusse pu m’orienter tout seul et m’égarer fort peu.

Nous avions forcément rompu nos rangs pour nous abriter le long du rocher, pendant que Felipone descendait en avant pour faire une nouvelle reconnaissance. Je souffrais de voir cet excellent homme s’exposer tout seul pour les autres, et je demandai à l’accompagner. Le prince s’y opposa.

— Nous ne prenons pas ces précautions pour nous, dit-il à voix basse. Nous avons une femme avec nous ; c’est pour elle seule que nous sommes si prudents ; c’est pour elle que je consens à exposer Felipone. Si je connaissais les chemins, je prendrais sa place ; mais je ne les connais pas, et c’est assez d’un homme en danger.

— Felipone sert la patrie, dit le docteur, puisqu’il favorise l’évasion d’un patriote comme moi. S’il est assassiné, ce sera mourir au champ d’honneur !

Et, après ce mouvement d’égoïste enthousiasme, le beau gros docteur ajouta, avec un cynisme sentimental :

— S’il ne revient pas, je jure de ne pas abandonner sa femme.

— Ne parlons plus, dit le prince. Malgré nous, nos voix s’élèvent. Silence tous, je vous en prie !

— Il serait désagréable d’être surpris et massacrés, pensai-je, pour d’aussi mauvaises paroles que celles que le docteur vient de dire.

Nous restâmes immobiles. Je me trouvai auprès de la dame voilée, dont le cheval, peu soucieux de