Page:Sand - La Filleule.djvu/102

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qu’elle m’avait donné. La mère et la fille affectèrent de me charger de mille commissions, et même elles me confièrent la surveillance de la maison de Paris, comme si elles eussent voulu me traiter en ami intime devant les autres intimes qui étaient là. Un instant je me trouvai seul avec madame Marange, et elle s’empressa de me parler avec une affection que je ne pus m’empêcher de trouver diplomatique.

— Que je regrette que vous n’ayez pas dix ans de plus ! me dit-elle. Vous ne seriez plus forcé de rester ici pour devenir savant, comme c’est votre louable et trop juste ambition. Vous viendriez passer tout l’été à Saule, n’est-ce pas ?

— Vous croyez, madame, lui répondis-je, que j’ai l’ambition de devenir savant ? Vous me confondez avec mon ami Roque.

— Non pas, non pas, reprit-elle. (Et il me semblait que toutes ses réflexions étaient faites à dessein de m’ouvrir les yeux sur ma position vis-à-vis de sa fille, comme si j’eusse conçu quelque espoir insensé.) Vous devez vouloir être savant en conscience. La vie d’un homme est consacrée d’avance par les dons qu’il a reçus. Quel dommage pour nous que vous soyez un être si intelligent, et, par là, responsable de sa propre destinée ! Que n’êtes-vous un pauvre vieux malheureux comme Schwartz, avec tout ce que vous savez de plus que lui ! nous vous eussions emmené pour refaire l’éducation de Julien, et j’eusse été si contente de trouver un prétexte pour garder toujours un ami tel que vous ! Mais vous êtes un fils de famille, et personne n’a le droit de s’emparer de vous. Vous n’avez pas non plus celui de disposer de vous-même.

Elle avait tellement raison que j’en eus du dépit.

— J’aurai toujours le droit, lui répondis-je, d’aller herboriser dans la forêt de Fontainebleau ; c’est ce qui me consolera un peu de vous voir partir.

— J’espère bien que vous viendrez vous reposer quelquefois