Page:Sand - La Filleule.djvu/111

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tasses. On m’avait fait prendre quelque cordial, car je me sentais ranimé ; mais je ne comprenais pas encore.

Je fus très-longtemps avant de me rendre compte de rien. On me fit lever, on m’aida à descendre l’escalier, on me mit en voiture ; je me laissai conduire comme dans un rêve. Je ne me retrouvai moi-même que dans la maison de la rue de Courcelles, devant un souper de famille, où Schwartz était assis. Les choses se passaient pour nous deux comme elles s’étaient passées deux mois auparavant pour lui seul. On nous disait qu’on avait faim, et on nous priait de manger par complaisance.

La mémoire de cette soirée me revint entièrement, et je sentis la honte de la misère m’accabler jusqu’à la douleur. Le bon Allemand était si facile à tromper qu’il trouvait l’explication de madame Marange toute naturelle. Elle était venue à Paris avec sa fille pour y passer deux jours. Étonnée d’apprendre de ses gens qu’on ne m’avait pas revu depuis son départ, elle avait envoyé le chevalier savoir si j’étais malade. On lui avait dit que j’étais sorti, mais que je n’étais pas rétabli d’un accident qu’on attribuait à une chute. Cette réponse l’avait surpris ; il avait pensé que j’étais fort mal et que je ne voulais pas recevoir. Il n’avait osé forcer ma porte. Il en avait été grondé par madame Marange et sa fille, qui étaient montées en voiture à dix heures du soir, ne voulant pas rester toute la nuit dans l’inquiétude. On les avait laissées monter. Elles m’avaient trouvé évanoui. En revenant à moi, j’avais accepté de venir souper avec elles pour partir le lendemain avec elles pour la campagne ; car il était évident que j’avais besoin de me remettre et de me reposer de mon travail.

Tout ce récit était exact ; mais la vérité n’en était pas complète, je le sentais. On feignait d’ignorer que je me fusse battu en duel et que la misère fût la cause de ma rechute. Je voyais bien qu’on me trompait, que le portier de ma maison avait été plus explicite avec M. de Valestroit, ou que Schwartz lui-