Page:Sand - La Filleule.djvu/130

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étranger à rien de ce qui intéresse, émeut, redresse ou corrompt les hommes, je devais connaître cet art, qui, bien entendu, saurait résumer tous les autres.

Un soir que nous entrions à l’Opéra, où elles allaient, modestement, dans une baignoire, et sans toilette, je fus frappé de la figure d’un gamin qui étendait un bout de tapis sur la roue des fiacres et recevait deux sous de ceux qui en descendaient.

Bien qu’il se fût fait, depuis dix-huit mois, un changement dans sa taille et dans ses traits, je ne pouvais en douter, c’était le frère de Morena.

Je ne voulus pas en faire la remarque devant mes compagnes ; mais, dès que je les eus installées dans leur loge, je revins au péristyle ; je descendis les degrés et je rejoignis le gitano.

Le gitano vint à moi avec empressement dès que je l’eus appelé, et me reconnut sans hésitation.

— Ah ! ah ! monsieur, me dit-il en français et avec une assurance extraordinaire, c’est vous qui m’avez volé ma sœur !

À cette apostrophe faite tout haut, plusieurs personnes qui passaient se retournèrent. On me prenait pour un suborneur de filles. J’emmenai l’enfant dans un endroit de la rue plus isolé et je lui demandai l’explication de sa fuite soudaine après la mort de sa mère, son nom, celui de son père, celui de sa sœur, enfin.

— Monsieur, répondit-il, si vous voulez me promettre de me dire ce que vous avez fait de ma petite sœur, je vous apprendrai bien des choses.

— Je ne promets rien, répondis-je, sinon de te rendre un peu moins malheureux que tu me sembles l’être, si tu en vaux la peine.

Et, comme il parut mordre à l’appât d’une récompense, je