Page:Sand - La Filleule.djvu/132

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publique. Lui, le fils de cette union, tenait les castagnettes ou raclait la guitare. Là s’était bornée son éducation.

Je traduirai de l’argot le reste du récit du gitanello.

— Je vous ai dit, là-bas, monsieur, que mon père avait quitté ma mère enceinte pour aller chercher sa vie en France, et qu’il nous avait fait écrire de venir le retrouver à Paris. Je savais très-bien que mon père était fâché contre elle en la quittant ; mais je ne savais pas pourquoi, et je n’avais pas besoin de vous le dire. Quand ma pauvre mère fut morte, au milieu de mon chagrin, je regardai avec attention ma petite sœur et je vis qu’elle était blanche.

— Blanche ? observai-je. Pas précisément.

— Elle l’est toujours plus que moi, reprit-il. Vous n’avez qu’à me regarder et à comparer, si elle vit encore et si vous savez où elle est.

Je ne répondis pas à cette question détournée, et je constatai qu’en effet ce jeune garçon ne pouvait renier sa race, tandis que Morena pourrait toujours faire douter de la sienne.

Il reprit :

— Cet enfant blanc me fit peur. Je me souvins d’avoir entendu mon père me dire en colère, avant de quitter l’Espagne :

» — Le frère ou la sœur que ta mère va te donner viendra au monde avec une peau blanche. Si tu fais bien, tu lui mettras la tête sous une pierre, et tu danseras dessus.

» Mon père est méchant, je ne le suis pas ; seulement, je me dis :

» — Si je ne tue pas cette enfant, mon père viendra nous tuer tous les deux.

» Et je me sauvai. Je n’ai rien volé à ma sœur. Ma mère avait deux choses, un petit mulet et un bracelet d’or ; j’ai pris le mulet pour moi, j’ai laissé le bracelet à la petite. Qu’est-ce qu’il est devenu ?

— Ça ne te regarde pas. Continue.