Page:Sand - La Filleule.djvu/147

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Florès nous eut ôté l’espoir de lui donner un nom, nous résolûmes de lui en donner un quelconque auquel les oreilles s’habitueraient. C’est une loi applicable à tous les humains, que les mots tranchent toutes les questions insolubles à l’esprit et satisfont la curiosité d’autant plus qu’ils n’expliquent rien. Morenita fut, dès ce jour, débaptisée pour le public et s’appela, par l’ordre de ses parents, disions-nous, Anaïs Hartwell. Nous lui gardâmes son petit nom comme un sobriquet de l’intimité. Son existence, son baptême, son inscription au registre de la mairie d’Avon, n’avaient pas assez marqué dans l’endroit pour qu’on s’en souvînt quand l’enfant aurait grandi. D’ailleurs, une circonstance arriva qui nous éloigna de ce voisinage, et c’est ici que, laissant de côté l’histoire de nos enfants adoptifs, je rentre dans celle de mon amour.

Vers la fin de l’hiver que je viens de raconter, je reçus une lettre du curé de mon village qui m’engageait à venir recevoir les derniers adieux de mon père. Il mourait d’une maladie du foie dont il avait négligé l’invasion et qui s’était développée avec une rapidité effrayante. Il s’affligeait de ne pas recevoir de mes nouvelles. Il m’accusait de le bouder. Il ignorait qu’on eût intercepté nos relations avec une lâche et criminelle persistance.

J’assistai à ses derniers moments, qui furent très-douloureux et empoisonnés par l’aversion et la terreur subites que sa maîtresse lui inspira. Il crut, à tort sans doute, qu’elle avait voulu hâter sa mort pour le dépouiller plus vite ; inévitable châtiment qu’entraînent souvent de telles unions. Il était saisi du remords de m’avoir méconnu et négligé, et de s’être laissé entraîner à profaner le foyer de sa chaste épouse pour le livrer à la cupidité d’une marâtre impure. Je le consolai de mon mieux par ma tendresse, et notre bon curé s’efforça de rassurer sa conscience purifiée par le repentir. Il mourut en me bénissant. La Michonne avait fui déjà, empor-