Page:Sand - La Filleule.djvu/151

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femme était ma maîtresse. Quelques-uns me firent l’honneur de me dire que, sans doute, elle deviendrait ma femme. De plus positifs m’apprirent que j’étais tout bonnement son homme d’affaires, et me conseillèrent de prendre les biens en régie plutôt qu’en ferme, parce qu’il y avait moins de risques à courir.

Les formalités nécessaires à cette acquisition et les arrangements du domicile devaient bien durer encore un an ou dix-huit mois. En revenant à Saule, mon cœur débordait. Madame Marange venait de me dire :

— Je suis forcée de convenir que ces six semaines de tête-à-tête avec vous (car, ma fille et moi, nous ne comptons que pour une) ont passé comme un jour. Je ne sais à quoi cela tient. Est-ce l’air de votre pays qui rend heureux ? est-ce votre société qui ne ressemble à aucune autre ? Il est certain que je n’ai pas eu un moment d’ennui, de contrariété, ou même d’inquiétude. Ah ! Stéphen, vous êtes un roué, avec votre air candide. Vous travaillez habilement à me séduire, et vous ferez si bien, que j’arriverai à croire aussi qu’on ne peut pas se passer de vous quand on vous a connu quelques jours.

C’était me dire que, par mes soins et la sincérité de mon amour, j’avais levé tous ses doutes. Mais Anicée n’ajoutait pas un mot à cet encouragement, et, bien que sûr d’elle, je tremblais presque convulsivement en prenant ses mains avec celles de sa mère dans les miennes. Elle ne m’avait jamais dit ce que je n’avais pas demandé à savoir, ce que je savais bien au fond ; car, si aucun langage n’était plus réservé que le sien, aucune physionomie n’était plus naïve, aucune conduite plus loyale. Mais comment allait-elle franchir cet abîme de crainte pudique qui nous séparait encore ? De quelle voix enivrante ou timide allait-elle dire ce oui tant désiré ?

Elle parut se recueillir. Nous étions entrés dans la forêt de Fontainebleau. La voiture roulait sur le sable, qui amortissait le bruit des chevaux et des roues. Nous étions aux plus beaux