Page:Sand - La Filleule.djvu/153

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sans scandale ? Je me ris comme vous de la calomnie ; mais nous devons le bon exemple, et les relations les plus pures sont d’un exemple dangereux pour les faibles !

— Stéphen, dit Anicée avec sa résolution naïve, vous voilà donc forcé de m’épouser ? Je ne vous demande pas pardon d’avoir dix ans de plus que vous, puisque je ne vous ai jamais reproché d’avoir dix ans de moins que moi. Je ne rougis pas non plus de vous être très-inférieure par l’esprit ; je sais que je suis bonne et que je vous aime assez pour chérir votre supériorité. Ce dont je m’afflige pour vous, c’est de la critique de vos amis ; c’est du soupçon des malveillants et de la calomnie des ennemis. Ils diront que vous épousez une vieille femme parce qu’elle est riche, comme ils diront de moi que j’épouse un enfant parce que je suis folle. Voyons, cela m’est égal, à moi ; mais votre position est plus difficile, et l’accusation qui pèsera sur vous sera plus grave. Il faut bien aimer une femme pour se laisser méconnaître à cause d’elle. M’aimez-vous à ce point-là ?

— Ô Anicée ! m’écriai-je, dites-moi si vous en doutez !

— Non ! répondit-elle.

Et se tournant vers moi, toujours agenouillée, elle appuya son front sur mon épaule et baisa mon vêtement avec une passion si vraie et en même temps avec une chasteté qui semblait si respectueuse, que je faillis m’évanouir.

Deux ans devaient cependant s’écouler encore avant qu’il me fût permis de presser cet ange contre mon cœur. Toute candide qu’elle était, elle n’avait point l’embarrassante ignorance qui trouble les sens par sa gaucherie. Le respect était facile auprès d’elle ; elle l’imposait par cette droiture même et ce complet abandon de l’âme qui n’excite point les passions, parce qu’il vous communique la certitude. Le non des coquettes donne la fièvre ; le oui d’Anicée donnait la santé morale, la sérénité, la force.

Madame Marange ne faisait plus d’objections sur l’avenir ;