Page:Sand - La Filleule.djvu/183

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seuses, complaisant silence du vent dans les arbres, débonnaire majesté des bœufs couchés sur l’herbe courte et brûlée des prairies, jeux naïfs des canetons que la poule veut ramener au rivage, pays simple et bon, prose charmante de la poésie rustique !

Je n’étais pas loin du moulin. J’entendais le cri plaintif et doux de la roue vermoulue qui semble se plaindre du travail et pleurer avec l’eau qui l’entraîne. Les jeux des enfants et le chant des coqs envoyaient de temps en temps une fusée de gaieté dans l’air somnolent. Une fraîcheur molle pénétrait dans tous mes pores. L’arome des plantes aquatiques planait sur moi sans chercher à m’écraser. Rien de violent, rien de sublime dans cette nature paisible. Là où j’étais couché, je n’avais rien à admirer : l’horizon était fermé pour moi, d’un côté par les buissons épais de la rive gauche, au bout d’un travers de ruisseau qui n’a pas vingt pieds de large ; de l’autre, par le terrain qui se relevait en talus inégal à deux mètres au-dessus de ma tête. Par une échancrure, j’apercevais seulement la cime de quelques arbres et un pan de toit, dont les ardoises se confondaient avec la végétation bleuâtre des saules. C’était Briole, mon nid, mon asile, mon Éden, là tout près, pour ainsi dire sous ma main.

Que pouvais-je désirer ? Une forêt vierge ? des précipices ? une végétation hérissée qui déchire les regards ? les vents maritimes qui abrutissent ? les cimes qui donnent le vertige ? les cataractes qui ébranlent les nerfs ? Non, non ! Je ne regrettais rien de tout cela, je ne voulais rien de mieux, rien de plus que cet horizon de pauvres herbes, ce ruisseau sablonneux, ce gloussement de la poule, cette apathie des bœufs qui venaient tremper leurs genoux cagneux dans la vase, à mes côtés, et qui, en se dérangeant fort peu pour moi, ne me dérangeaient pourtant nullement.

De quoi l’homme pensant a-t-il besoin pour être heureux ?