Page:Sand - La Filleule.djvu/200

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doit pas mettre les pieds sans moi dans une maison où on peut la croire étrangère.

— Vous êtes bien rigide, répliqua la duchesse avec un peu de dépit. Je pensais pouvoir me préoccuper aussi, et avec quelque succès peut-être, de l’établissement de cette jeune personne. Dans la retraite où vous l’enfermez, elle trouvera difficilement le moyen de s’éclairer sur son choix. Est-ce que vous ne croyez pas le temps venu de la produire un peu dans le monde, et, dans ce cas, la première maison où elle doit paraître n’est-elle pas la mienne ?

— Oui, madame, répondit Anicée ; mais le moment n’est pas venu, selon moi. Ma fille n’a que quatorze ans.

— Eh bien, je me suis mariée à quinze ! dit la duchesse presque irritée.

— Et moi à seize, reprit doucement Anicée, et, croyez-moi, madame, c’était beaucoup trop tôt pour toutes deux.

— Enfin, madame, concluons, dit la duchesse, qui ne s’attendait pas à faire si peu d’effet sur madame de Saule. De toutes façons, même pour un jour, même pour une heure, même avec vous, vous me la refusez ?

— Non, madame ; si M. le duc exige que je vous la présente chez lui, je n’ai pas le droit de m’y refuser.

— Fort bien ! s’écria la duchesse, tout à fait piquée ; vous ferez le sacrifice de déroger à vos habitudes de retraite pour complaire à l’époux infidèle ; vous ne ferez rien pour l’épouse généreuse qui pardonne, et, dans l’intérêt même de l’enfant, vous ne la confierez pas à sa protection ?

Anicée réussit, par sa raison pleine d’égards et de douceur, à calmer cette âme irritable et à lui faire comprendre qu’il ne fallait pas placer le duc dans l’alternative d’avouer sa faute aux yeux du monde, ou de ne pas recevoir sa fille avec la distinction particulière qu’elle méritait de lui.

La duchesse subit, en dépit d’elle-même, l’ascendant de