Page:Sand - La Filleule.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme vous ne pouvez pas vous souvenir du jour de votre naissance, c’est la première fois que vous me voyez.

— C’est-à-dire, observa Morenita en riant, que je ne vous vois pas du tout. Est-ce que vous me voyez, vous ?

— Pas distinctement. Mais je vous ai vue plusieurs fois à votre insu.

— Vous vous intéressez donc un peu à moi ?

— Je vous aime de toutes les puissances de mon âme, s’écria-t-il, parce que vous êtes belle comme la Vierge d’Égypte… et parce que tu es ma sœur ! ajouta-t-il avec une tendresse presque aussi passionnée que son exclamation.

Un charme inconnu pénétra dans l’âme incertaine de Morenita. Elle qui avait tant envie de se savoir belle, elle s’entendait louer par cette voix mystérieuse qui avait les accents de l’amour et dont elle ne pouvait se méfier, si c’était, en effet, celle d’un frère. Agitée, curieuse, elle s’écria :

— Je veux vous voir ! je saurai bien si nous nous ressemblons, et si la voix du sang parle à mon cœur. Mais je ne sortirai pas du jardin de maman. Si elle s’éveillait, si elle ne me trouvait plus dans ma chambre ni dans le jardin, elle en mourrait de peur et de chagrin. Voyons, il y a chez nous, tout près d’ici, un pavillon inhabité ; je vais chercher la clef et de quoi allumer les bougies. Attendez-moi.

Elle retourna à la maison, s’assura que tout y était tranquille, prit une petite lanterne sourde, les clefs du pavillon et s’y rendit, afin que la porte fût ouverte au moment où elle y introduirait son prétendu frère. Il y était déjà, car il paraissait connaître parfaitement les localités, et ils entrèrent ensemble. Morenita tremblait. L’inconnu paraissait fort à l’aise, et son premier soin fut d’allumer les bougies comme un homme très-avide de se montrer et très-sûr d’être admiré.

C’était, en effet, le plus charmant garçon de vingt-quatre ans qui existât peut-être au monde. Sans ressembler à Morenita, il