Page:Sand - La Filleule.djvu/239

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un instant dans un coin de province, et dont on fit la perle des Espagnes. On se disait à l’oreille en regardant Morenita :

— C’est la fille du duc de Florès et de la belle Pilar ; vous savez, la fameuse Pilar !

— Non, connais pas !

— Bah ! il n’a été bruit que d’elle en Espagne… à ce qu’il paraît !

Si une femme un peu collet-monté s’avisait de dire :

— Une bohémienne ! mais c’est affreux, cela !

Il se trouvait toujours quelqu’un pour répondre :

— Oh ! celle-là était une exception, une vertu. Elle n’a eu qu’un amour, elle n’a commis qu’une faute en sa vie. On dit que son histoire est fort touchante et qu’elle est morte dans un coin, fuyant les bienfaits du duc, et dans les sentiments les plus religieux.

Au milieu de tout ce triomphe, que se passait-il dans le cœur de bronze de la gitanilla ? Son journal nous la montrera moins endurcie que sa conduite ne le ferait croire.



JOURNAL DE MORENITA


Paris, 1er janvier 1847.

Les étrennes d’aujourd’hui ont été si magnifiques, si variées, mon père a été si bon, tous mes amis si aimables, j’ai reçu tant de fleurs, de bonbons, de colifichets ruineux, de caresses et de compliments, que je me suis laissé distraire et que j’ai oublié ma tristesse pendant tout un jour.

Mais me voilà seule et j’y retombe. Que me manque-t-il donc, et pourquoi suis-je forcée de feindre la satisfaction et l’enjouement ? Me voilà mise comme un ange, avec une robe de soie d’un rose si pâle, si pâle, qu’on dirait qu’elle est blanche et seu-