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de tendresse pour son père, qui s’y laissait gagner ; par de prudentes soumissions envers la duchesse, qui accueillait son retour avec des rires pleins de bonhomie ; par des prodigalités aux laquais, qui, dès lors, souhaitaient voir revenir l’orage destiné à crever en pluie d’or sur leurs têtes.


UNE LETTRE DE MORENITA À ANICÉE
« Nice, 15 avril 1847.

» Mamita, me voici dans un beau climat qui ne me fait pas de bien, vu que je ne suis pas malade. Toute ma maladie, c’est de vous avoir quittée, et comme je ne peux pas vous rejoindre, cette maladie est mortelle.

» Mortelle pour mon âme ! Mon petit corps robuste vivra quand même. Alors, vous voilà tranquille ? Dans ce monde, c’est toujours comme cela. Pourvu que les gens ne soient pas enterrés, on suppose qu’ils vivent et que cela leur suffit. Cela suffit à vous, mamita, qui êtes parfaite et qui ne pouvez pas être malheureuse. Moi, je ne m’arrange pas d’être ce que je suis.

» Vous dites que je vous écris par énigmes. C’est singulier ! il me semble que je suis de verre, et que je laisse trop voir le peu de bien, le beaucoup de mal que je sens en moi.

» Le duc est en Espagne pour des raisons de politique. On m’a expliqué de quoi il s’agissait. J’aurais pu comprendre, je n’ai pas écouté : c’était bien assez d’avoir le cœur brisé par son départ sans vouloir me casser la tête de ce qui le cause.

» La duchesse s’amusait à Paris ; mais elle s’est imaginé qu’elle s’amuserait ici davantage. Moi qui m’y ennuyais, il m’a été indifférent de continuer à m’ennuyer ici.

» Je devrais vous dire que je me trouve mieux d’être moins